La visite de Debré
rideau

Le général Challe décrète l'état de siège. Mais les Algérois se moquent éperdument du couvre-feu. Ils viennent en foule autour des barricades sur lesquelles a été planté un drapeau tricolore, trempé dans le sang d'un manifestant tué au cours de l'affrontement .
Malgré la nuit, à vingt heures, des hélicoptères survolent la ville à basse altitude. Ils tentent de disperser les quelque trois mille personnes, agglutinées square Laferrière, à l'aide d grenades lacrymogènes.
Rue d'Isly, les paras de Dufour dégagent des gendarmes, désarmés et bloqués par des manifestants qui menacent de leur faire un mauvais sort.
Un peu plus tard, le commandant du 1er R.E.P. se présente devant les barricades et interpelle Ortiz, lequel jure qu'il n'a jamais donné l'ordre de tirer et qu'en tout cas, ses hommes n'ont pas tiré les premiers.
Dans le bureau de M. Delouvrier, les députés d'Alger s'indignent que les gendarmes mobiles aient tiré sur la foule, sans sommations. Pour les parlementaires, comme pour les manifestants, ce seront toujours les gendarmes qui tirèrent les premiers. Affirmation démentie par tous les témoins impartiaux de la fusillade. M. Philippe Thibaud riposte :  Avez-vous déjà vu une manifestation où le service d'ordre qui tire sur la foule, ait neuf dixièmes de pertes ?...

    
barricades à Alger

A l'issue d'un conseil des ministres dramatique au cours duquel s'est manifesté un clivage très net à l'intérieur du gouvernement le premier ministre Michel Debré annonce son intention de se rendre à Alger.
Le général de Gaulle, que ce projet laisse sceptique, y adhère non sans réserve.  Que le premier ministre se rende à Alger, soit, mais ce voyage doit être très bref, se borner à prendre contact avec les responsables et à mettre fin à leurs hésitations. Ce voyage-éclair va montrer au premier ministre la gravité de la situation.
Debré arrive enfin et se rend compte immédiatement de la tension qui y règne. Delouvrier n'a pas caché sa désapprobation à ce voyage, incapable qu'il était d'assurer la protection du chef du gouvernement ! Quant à Challe il est furieux. Mais le premier ministre est là pour s'informer. Delouvrier et Challe refont l'historique de la journée tragique. Le commandant en chef explique qu'il n'a pas, à Alger, de forces suffisantes pour enlever les barricades. Il faut attendre mercredi où des troupes actuellement en opération arriveront à Alger. Debré et Guillaumat ont compris. C'est l'aveu à peine dissimulé que les paras n'obéiront pas au commandant en chef si celui-ci leur donne l'ordre de forcer le réduit.
Debré, de son côté, se fait apaisant. Rien n'est perdu. Seule l'autodétermination réglera le problème algérien. L'armée doit faire son devoir. Etc. Et puis, annonce le premier ministre, le Général parlera à la population le vendredi soir.
Le tableau est sombre. Il va s'assombrir encore lorsque Debré demande à rencontrer les militaires. Delouvrier refuse d'assister à l'entretien car il pense que rien de bon n'en sortira. Debré se trouve physiquement et pour la première fois devant l'évidence que décrit Delouvrier : l'armée ne veut pas obéir. C'est le colonel Argoud qui s'en fait le porte-parole.
Le colonel est tendu à l'extrême. Pour se dominer il parle volontairement d'une voix terne et monocorde mais les termes qu'il emploie sont explosifs :
« Monsieur le premier ministre, la détermination des gens que vous avez en face de vous est totale. Il n'est pas question de tirer, vous ne pouvez pas tirer sur les Français qui crient : « Vive l'Algérie française ! » De toute façon, si on me donne l'ordre de tirer je ne l'exécuterai pas, je donnerai l'ordre à mes subordonnés de désobéir. Les gens qui sont en face de vous, malheureusement, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de juger, n'ont plus confiance dans le gouvernement, pas plus les musulmans que les Européens, et depuis quelques mois ils n'ont plus confiance dans la personne du chef de l'Etat. C'est l'aboutissement de quinze ans de mensonges et de reniements en chaîne. »

debré à Alger
barricades le 24 janvier à Alger
A 4 heures du matin Challe et Delouvrier, plus sombres que jamais, raccompagnent un Michel Debré qui leur semble abattu et accablé jusqu'au perron du quartier Rignot. Maffart, une nouvelle fois, joue les guides. Il raccompagne les ministres à Maison-Blanche, dans sa voiture personnelle, et passe devant la barricade du plateau des Glières encore jonchée de détritus. Un feu de camp brûle derrière le rempart de pavés. Les occupants du camp retranché ont, semble-t-il, abandonné le folklore pour imposer une certaine discipline. Des sentinelles, le fusil ou la mitraillette à la bretelle, font les cent pas. On distingue à la lueur du feu de bois un poste de garde où des U.T. bavardent avec des paras en tenue bariolée. De quel côté se trouvent les léopards ? Debré n'a pas besoin de poser la question. Argoud et les colonels paras lui ont donné la réponse.
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Manif du 24 janvier 1960